Depuis 2013, le réseau NBC ramène une tradition américaine des années 60 où l’on présente des télédiffusions de comédies musicales populaires en direct. On n’installe pas de caméras dans un théâtre de Broadway pour simplement diffuser un spectacle. On recrée carrément une nouvelle production faite exclusivement pour la télévision.
Après avoir laissé NBC faire un boulot acceptable avec The Sound of Music (2013), Peter Pan (2014) et The Wiz (2015), le réseau FOX avait sauté dans l’arène en 2016 avec Grease Live, qui à mes yeux avait donné une leçon à NBC.
Avec Rent Live, FOX s’attaquait à un géant de la comédie musicale américaine, une œuvre culte et controversée de 1996 qui traite d’homosexualité, de drogue, de pauvreté et de sida. Un choix surprenant pour FOX, un réseau conservateur connu pour ses positions très à droite et pro Trump.
Dès l’ouverture de la télédiffusion, on nous a annoncé que Rent Live ne serait pas « live ». L’acteur qui joue Roger s’est fracturé le pied lors de la générale de la veille… Heureusement, cette dernière répétition avait été filmée devant public et c’est ce que FOX allait nous présenter. Au-delà de quelques pépins techniques qui s’expliquent par le fait que c’était une générale, je crois qu’il est possible d’émettre une critique sur la production au sens large. Après tout, FOX a jugé que la générale filmée valait mieux qu’une diffusion en direct avec un Roger en béquilles?! Personnellement, j’aurais préféré la seconde option. The show must go on!
Voici donc ma liste d’éléments positifs (les fleurs) et négatifs (le pot). On se lance?
Le pot :
- La première heure de la télédiffusion : l’absence de chimie entre les interprètes, le manque d’aplomb dans la chanson-titre et les problèmes vocaux de Mimi et Angel ont tous contribué au mauvais départ. Et que dire des étranges modifications de paroles? On nous promet une production qui rendra hommage à Jonathan Larson, compositeur de l’œuvre décédé il y a exactement 22 ans, mais on se permet de modifier ses textes… Bref, une première heure chaotique.
- Tout était trop propre : on parle ici d’une histoire qui se déroule dans les bas-fonds de New York des années 90. Roger ne peut pas avoir l’air d’un chanteur new-country qui sort d’un rendez-vous chez le coiffeur. C’est un ex-junkie qui n’a pas l’eau courante! Ça sentait trop le Purell tout ça!
- Une partie de la distribution : à mes yeux, Roger, Mark et Mimi n’étaient pas du tout à la hauteur. Les trois acteurs n’étaient tout simplement pas au niveau du reste de la distribution. Mimi se balançait entre deux émotions, Roger n’avait absolument rien d’un rocker et Mark avait l’air d’un enfant à travers la distribution composée d’adultes… Avait-il participé à un concours à son école secondaire qui lui donnait droit de jouer avec des adultes?
Les fleurs :
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- La dernière heure de la télédiffusion : si la première heure a été difficile, la dernière heure est venue (presque) nous faire oublier ces faux pas. Le spectacle a finalement commencé à pendre son erre d’aller à partir de La Vie Bohème et on n’a plus jamais regardé en arrière (sauf pour «What You Own»,où l’absence de chimie entre Mark et Roger gâchait le numéro). L’équipe créative a complètement revu la façon d’interpréter « Seasons of Love » et à mes yeux, c’est le seul numéro de Rent Live qui surpasse le Rent original. Parlant de ça, la présence de la distribution originale lors de la finale était un très beau moment!
- La direction créative : Rent Live n’était pas une production télévisuelle comme les autres. Si NBC recréait des simili adaptations cinématographiques en direct, Fox avait innové en incluant du public dans certaines scènes de Grease Live. Avec Rent, ils ont tout simplement créé un événement-spectacle titanesque, sorte de production théâtrale sur les stéroïdes. Le metteur en scène original Michael Greif s’était réinventé avec la nouvelle production Off-Broadway de 2011 (que j’avais adorée!) et il répète cette autorévolution avec Rent Live. Et que dire de la scénographie? C’était grandiose, c’était recherché et c’était authentique, tout en donnant une nouvelle dimension à l’œuvre. La première étoile va définitivement au scénographe Jason Sherwood. Ce dernier a mis au point un gigantesque terrain de jeu scénique sur plusieurs paliers où les différents lieux cohabitent avec les estrades bondées de spectateurs. Rent est une œuvre culte et à travers les années, les différentes productions ont toujours laissé une grande place aux fans. L’absence totale du 4e mur entre les acteurs et les spectateurs (ni de 5e 6e et 7e mur, d’ailleurs) s’inscrit exactement dans cette éternelle volonté de ne faire qu’un avec les fans.
- L’autre partie de la distribution : Vanessa Hudgens avait surpris tout le monde avec sa superbe performance de Rizzo dans Grease Live et elle est revenue en force sous les traits de Maureen. Son casting avait surpris les gens puisqu’elle n’a rien d’une Idina Menzel, mais elle a donné un nouveau visage au rôle et c’était rafraîchissant. Si la première étoile va au scénographe, la seconde va sans aucun doute à Brandon Victor Dixon qui jouait Collins. Il y a une discipline et une solidité vocale qui vient avec une décennie d’expérience sur Broadway et c’est ce qu’il a démontré. Dixon surpassait le reste de la distribution, tant par sa voix que par son interprétation. Et que dire de son « I’ll Cover You Reprise » empreint de soul et d’émotions. Les acteurs qui campaient Joanne et Benny étaient eux aussi très bons, tout comme l’excellente Keala Settle, toujours aussi en voix, qui jouait une brochette de personnages.
- Des couples du même sexe se sont embrassés à heure de grande écoute : Ça semble anodin, mais Rent était un choix audacieux pour une télédiffusion en direct à la télévision nationale. Il n’y a absolument rien de choquant dans Rent, on s’entend. J’aimerais vraiment mieux ne pas avoir à soulever ce point, voulant dire que ce n’est pas un big deal. Mais… on parle ici des États-Unis, le pays qui a élu Trump. Et on parle de Fox, le réseau conservateur qui a probablement porté Trump au pouvoir. Et à heure de grande écoute, Angel et Collins, puis Joane et Maureen se sont embrassés en gros plan. Et c’était beau. Un petit french pour l’Homme, mais un grand french pour l’humanité!
Ça me réjouit de voir que des canaux majeurs comme NBC et FOX proposent de la comédie musicale à des heures de grande écoute. Mais, après sept diffusions en direct depuis 2013, une seule d’entre elles m’a réellement plus accroché (Grease, dont je ne suis pas particulièrement fan). Ces diffusions devraient permettre à de nouvelles personnes de découvrir le merveilleux monde de la comédie musicale. J’ai toujours dit qu’il y a des œuvres pour tous les goûts. Mais jusqu’à maintenant, ces télédiffusions nous ont soit remâché des pièces déjà connues et sans audace (The Sound of Music, Peter Pan, The Wiz), soit dilué dans le Purell des œuvres audacieuses et contemporaines (Rent, Jesus Christ Superstar). Ce n’est pas avec cette recette qu’on va rallier de nouveaux fans de comédies musicales! Pourquoi ne pas produire Rent tel qu’il est? Pourquoi essayer de rendre «propre» quelque chose qui ne l’est pas? On n’évacue pas de sang dans un film sur la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi évacuer le réalisme et la misère dans Rent?
Au final, je crois que cette diffusion avait du très bon et du très mauvais. Mais est-ce que le très bon rachetait le très mauvais? Je crois que oui. Rent Live est loin d’être parfait. Très loin. Mais j’ai passé un bon moment.
★★★/5
Rent : une œuvre historique?
Pour la première fois, j’ai l’impression qu’on nous présente Rent comme une œuvre historique. C’est un spectacle culte qui a marqué les esprits à sa sortie parce qu’elle traitait d’un sujet d’actualité dans les années 90 : la crise du sida. La production originale a tenu l’affiche sur Broadway pendant 12 ans. Lorsque le rideau est tombé en 2008, l’œuvre n’avait plus son côté contemporain et avant-gardiste des premiers jours. Même si le film de 2004 et la captation de 2008 sont intéressants, on ne ressent pas le côté « actuel » que la production originale pouvait avoir dans les années 90. Avec son esthétisme ancré dans son époque, j’avais souvent l’impression que Rent était une œuvre trop jeune pour être historique, mais trop vieille pour être actuelle. Selon moi, c’est l’une des raisons pourquoi le spectacle n’a pas connu de grands succès entre 2008 et aujourd’hui. Mais, avec sa diffusion d’hier sur les ondes de FOX, j’ai vraiment l’impression d’avoir vu passer Rent dans la catégorie des œuvres historiques. Le metteur en scène original Michael Greif a donné un second souffle à l’œuvre. On sent que pour la première fois, son équipe et lui ont voulu jeter un regard historique sur ce que raconte le spectacle. Si Rent Live ne passera pas à l’histoire pour la qualité de sa production, la télédiffusion d’hier aura au moins permis à l’opéra rock de Jonathan Larson de devenir une œuvre historique. À partir de maintenant, Rent peut être placée aux côtés de Les Misérables et Hamilton comme étant des œuvres contemporaines qui jettent un regard sur une époque du passé.