Cri du cœur de la St-Jean

En tant que fan fini de comédies musicales, j’ai longtemps pensé que les Américains et les Britanniques étaient meilleurs que nous dans ce domaine. That’s it. Ils sont tout simplement meilleurs, ce qui explique qu’ils ont des œuvres originales qui sont ancrées dans leur culture. Je me répétais la même question : comment se fait-il que comme peuple québécois, on excelle en musique, en littérature, en cinéma et en théâtre, mais qu’en comédie musicale, on soit à côté de la track?

[ATTENTION! Je ne parle pas ici de reprises d’œuvres étrangères. Toute bonne culture de théâtre musical reprend et adapte les succès d’ailleurs. Les Britanniques ont importé A Chorus Line et Hamilton, les Américains ont repris Cats et Les Misérables, etc. Par contre, dans ces cultures développées en frais de comédies musicales, pour chaque importation, il doit y avoir cinq fois plus de créations originales! Au Québec, Juste Pour Rire et plusieurs autres compagnies de production font un travail formidable en adaptant des succès comme Hairspray, Grease ou Mary Poppins. C’est grand public, c’est pop, c’est (presque toujours) lucratif et c’est la meilleure façon d’intéresser un nouveau public à la comédie musicale. J’ai bien beau être le plus grand fan de ce qui se fait dans la marge, je ne suis pas aveugle. Je sais qu’on n’intéressera jamais un néophyte en lui présentant des œuvres comme Follies ou Murder Ballad! Moi le premier, je me suis mis à apprécier ces comédies musicales après avoir consommé tout ce qui existe dans le mainstream de Broadway.]

MAIS OÙ SONT LES CRÉATIONS QUÉBÉCOISES?
Qu’est-ce qu’on nous a offert en frais d’œuvres originales dans les deux dernières décennies?
Dracula?
Don Juan?
Roméo et Juliette?
En quoi ces œuvres s’inscrivent-elles dans la culture québécoise? Parce que des acteurs québécois faisaient partie de la distribution? Non. Y’avait des Québécois dans L’Opéra de Quat’s Sous au Trident ou au TNM et j’suis pas mal sûr que Kurt Weill permettrait pas qu’on dise que c’est une oeuvre québécoise… «Was zur Hölle ist Quebec?»

Il m’semble qu’avant d’aller chercher des histoires dans le folklore transylvanien, on pourrait explorer ce qui s’est passé ici? On a une histoire riche, non? La Nouvelle-France, la fondation de Québec, les patriotes, la conscription, etc. Pis des légendes, on en as-tu ou bien on en n’a pas? Imaginez La Chasse-galerie avec une trame sonore folk/bluegrass!

On a du théâtre québécois, on a de la musique québécoise, on a du cinéma québécois, on a de la littérature québécoise. A-t-on de la comédie musicale québécoise?
Je peux compter sur une main (auquel il manque un doigt) le nombre d’œuvres qui, à mon sens, s’inscrivent dans notre culture : Demain matin, Montréal m’attend, Belles Sœurs, Les Filles de Caleb… et une adaptation de Monica La Mitraille de Michel Conte en 1968 mettant en vedette une jeune Denise Filiatrault. (Pis tsé, on s’entend, j’suis allé chercher ça loin parce que j’ai jamais entendu la trame sonore et j’y vais à l’aveugle en me doutant qu’une pièce sur une criminelle montréalaise, ça s’inscrit dans notre culture…)

Après des années à me dire que la comédie musicale ne doit simplement pas faire partie de notre culture, j’ai décidé de changer mon fusil d’épaules. J’entends parler d’une multitude de microcompagnies de théâtre qui développent des projets. Le Segal Center de Montréal a développé quelques créations à travers le temps (y’ont bien beau faire ça en anglais, une comédie musicale faite par des Québécois, c’est une comédie musicale québécoise, qu’elle soit en français, en anglais, en mandarin ou en elfique!).

Et si le vrai problème n’était pas l’absence de comédies musicales québécoises, mais plutôt l’absence de festivals, de diffuseurs et de producteurs pour mettre ces œuvres-là en lumière? Et si la nouvelle génération d’artistes de théâtre musical qui gradue de Lionel-Groulx depuis une décennie développe des tas d’affaires, mais qu’il n’y a personne qui ose les produire? Ces artistes-là sont peut-être dans leur sous-sol à mettre leurs tripes sur une trame sonore et une histoire poignante, au lieu de faire la file dans un centre d’achat pour auditionner pour la 22e saison de Star Académie! Et si au moment où leur comédie musicale novatrice et touchante était prête à vivre sur une scène, toutes les portes se fermaient parce qu’ils n’ont pas 12 000 abonnées sur Instagram grâce à une performance d’un succès de Claude Dubois en quart de finale à La Voix?

Vous trouvez que je pose beaucoup de questions? Imaginez toutes celles que je me censure à écrire ici…

En cette Fête nationale du Québec, je nous souhaite donc des œuvres québécoises en théâtre musical, des artistes spécialisés en la matière qui se consacrent à cette forme d’art, des centaines de projets pour faire travailler tous ces triple-threats québécois et finalement, des producteurs qui osent casser le moule et miser sur des œuvres 100% québécoises!

Allez, bonne St-Jean!

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P.S. Parlez-moi pas des jukebox musicals. Que ce soit ici, à New York ou à Londres, tisser une comédie musicale avec des chansons populaires n’ayant de prime abord aucun fil conducteur, c’est pas une œuvre originale. Ça diminue en rien la qualité artistique, j’ai rien contre Le Blues d’la Métropole ou Mamma Mia!, mais en mon sens, ce n’est juste pas des comédies musicales originales.

P.S.2. On peut parler longtemps de Luc Plamondon, de Starmania et de Notre-Dame de Paris… Dans ma tête, ces deux œuvres se rapprochent davantage de l’opéra que de la comédie musicale. Et avec tout le respect que j’ai pour le célèbre parolier, ça s’inscrit difficilement dans la catégorie «théâtre musical québécois». Pas sûr que Quasimodo savait où trouver d’la bonne poutine!

P.S.3. Je pourrais adresser les mêmes questions à nos cousins français! Ils attachent le terme «comédie musicale» à tous ces spectacles musicaux avec un semblant d’histoire qui semblent davantage servir à propulser les carrières de chanteurs et chanteuses pop, plutôt que de réellement raconter une histoire. Je pourrais probablement compter sur une main (à laquelle il ne manque pas de doigt, cette fois) les comédies musicales françaises.

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